Aménager une école durable est un pari gagnant pour tous

24.04.2025

   
Interview d’Irene Lampert, chargée de cours en management et leadership, responsable de formation, responsable du programme « EDD » et cheffe du projet «Sustainable Leadership» à la Haute école pédagogique de Zurich (PHZH) ainsi que spécialiste EDD au sein du Réseau d'écoles21 cantonal Zurich (écoles primaires).

Le développement de l’école et la fonction de direction sont étroitement liés. Irene Lampert forme des directions d’établissement à la HEP Zürich (PHZH) et mène des recherches sur le « leadership pour la durabilité » (Leadership for Sustainability). Dans le cadre de son dernier projet en collaboration avec éducation21 et l’Université Linné, elle mène des évaluations par les pairs (Peer-Reviews) dans des écoles suisses et suédoises. L’objectif est de déterminer ce qui est nécessaire pour aménager et diriger des écoles durables. Le produit final sera une boîte à outils (toolbox) en ligne, accessible à toutes les écoles intéressées. 

Madame Lampert, qu’entendez-vous par Leadership pour la durabilité dans le contexte du développement de l’école ? 

Par Leadership pour la durabilité, j’entends une forme de direction d’établissement visant à orienter l’école dans son ensemble vers la durabilité. Pour le développement de l’école, cela signifie concrètement que l’on introduit de manière fixe les valeurs et les visées de la durabilité dans la stratégie, la structure et la culture de l’école. Le « Leadership for Sustainability » étend, autrement dit, la définition traditionnelle de la direction au-delà des tâches d’organisation pour en faire un processus de direction inclusif, collaboratif et réflexif. En clair, cela veut dire ceci : les directions d’établissement favorisent une culture d’établissement dans laquelle l’EDD est partie intégrante – des lignes de conduite au quotidien scolaire en passant par l’enseignement. 

Quels sont les avantages d’une école dirigée selon des principes de durabilité ? 

Les décisions tendent à être prises de manière plus démocratique et à plus long terme, ce qui favorise, selon la recherche, un climat scolaire motivant. Il est intéressant de relever que les écoles observent qu’à la suite de leurs initiatives en matière de durabilité, le sentiment d’appartenance s’est lui aussi développé – tout le monde tire à la même corde. Par exemple, un travail collectif sur des projets de durabilité (d’un jardin scolaire jusqu’à un marché aux puces communal) favorise la coopération et la fierté envers son école.

L’effet positif se reflète-t-il aussi sur les résultats des élèves ? 

L’EDD rend la formation plus pertinente et, souvent aussi, plus interactive : les élèves travaillent sur des problèmes et des projets réels et pensent de manière interdisciplinaire, ce qui renforce leur motivation et leur implication. Des données empiriques attestent que les programmes qui intègrent systématiquement la durabilité dans le quotidien scolaire améliorent considérablement les compétences à l’action des élèves. La recherche portant sur la qualité de l’école nous apprend par ailleurs que la direction d’établissement – après l’enseignement proprement dit – exerce une influence majeure sur les résultats scolaires. Une direction d’établissement qui s’investit contribue donc indirectement à améliorer ces résultats, car elle crée un environnement qui favorise la réussite des apprentissages. 

« Des données empiriques attestent que les programmes qui intègrent systématiquement
la durabilité dans le quotidien scolaire améliorent considérablement les compétences à l’action des élèves. »

Mais par où commencer, si je veux ancrer l’EDD dans mon école et favoriser un développement durable de l’école ? 

Il faut d’abord établir une compréhension commune. Puis impliquer toute la communauté de l’école (direction d’établissement, corps enseignant, concierge, élèves, parents) en organisant par exemple une journée pédagogique ou des ateliers dans lesquels on explique et discute sur : « C’est quoi l’EDD ? Pourquoi est-ce important pour notre école ? ». Ainsi, toutes les personnes concernées réfléchissent et s’expriment dès le départ et les approches existantes deviennent visibles. De nombreuses écoles constatent alors qu'elles mettent déjà inconsciemment en œuvre des éléments de l'EDD (qu'il s'agisse d'un projet environnemental, de la participation des élèves au parlement des élèves ou de la promotion de la santé).

Reconnaître et valoriser ces ressources existantes est source de motivation et montre que nous ne partons pas de zéro. Le Réseau d’écoles21 offre ici des outils concrets pour dresser un état des lieux. Il est essentiel que le début soit inclusif afin que le développement durable soit compris dès le départ comme un projet commun à toute la communauté scolaire. Ensuite, il est possible, par exemple, de définir des objectifs communs, de fixer des structures et des responsabilités, d'élaborer un plan d'action et d'ancrer l'EDD dans la charte ou les programmes annuels. Je recommande de démarrer avec des projets réalisables qui amènent un succès visible. Les « Quick Wins » sont importants pour créer une dynamique. Tou.te.s les participant.e.s voient immédiatement un effet, et de telles actions attirent l'attention et procurent un sentiment de réussite.

Pas le temps, pas d’argent et des résistances internes : comment les directions d’établissement peuvent-elles surmonter les difficultés ?

De mon point de vue, les difficultés suivantes sont les plus fréquentes : 

• Tiraillements entre ce qui est urgent et ce qui est important

Dans la vie scolaire, il y a toujours quelque chose qui brûle : problèmes d’organisation, leçons supprimées, conflits aigus. L’EDD, en revanche, est un projet de développement à long terme. Beaucoup de directions d’établissement observent donc que la durabilité, malgré les meilleures intentions, risque de passer à la trappe dans le quotidien. Ce qui aide ici, c’est de fixer des priorités et de réserver des plages de temps : inscrire régulièrement l’EDD dans l’ordre du jour des conférences du personnel enseignant, désigner des groupes de travail permanents ou des responsables de projet. En tant que directeur ou directrice d’établissement, il est important de bloquer chaque semaine une ou deux heures pour travailler sur le concept EDD ou échanger avec l’équipe de coordination. 

• Résistance ou réserves du côté des collègues

Le changement peut être déstabilisant pour les enseignant.e.s ou susciter le sentiment d’être débordé.e.s. Mais lorsque le corps enseignant comprend pourquoi l’EDD est importante, beaucoup passent du scepticisme à un intérêt prudent, puis à l'engagement. Le fait de montrer les relations avec le plan d’études aide aussi. Ce qui est judicieux, c’est d’introduire l’EDD dans des routines existantes : par exemple, il existe peut-être déjà des semaines de projet – pourquoi ne pas donner au prochain projet un thème lié à la durabilité ? Ou bien, lors de la prochaine révision du programme scolaire, intégrer directement des tâches liées à l'EDD au lieu de rédiger un concept séparé.

• Des routines solidement implantées

Chaque école a des habitudes qui doivent être questionnées si l’on veut promouvoir l’EDD. Cela peut concerner toutes sortes de choses : par ex. la consommation de papier (traditionnellement beaucoup de copies), le mode de pensée classique par branche dans l’horaire ou un style de direction hiérarchique. Rompre avec ces routines exige du courage – de la part de la direction d’établissement et des enseignamt.e.s. Et puis, tout ne marche pas toujours du premier coup ; les revers ne sont pas exclus. Et là, seule une bonne dose de persévérance peut aider. 

• Finances 

Il existe différentes possibilités d’obtenir un soutien financier pour des projets, y compris les aides financières d’éducation21.

• Exiger trop de soi-même

Toute personne qui s'engage pleinement en faveur de l'EDD risque de s'épuiser, car on a tendance à vouloir tout améliorer immédiatement. Il est important de considérer cela comme un marathon et non comme un sprint. Certaines directions d'établissement rapportent que les échanges avec des personnes animées par les mêmes visées leur sont d'une grande aide. Les réseaux EDD permettent d'échanger et de demander conseil, ce qui aide à mieux relever ses propres défis. Un soutien extérieur (par exemple un coach EDD ou une formation continue) peut également aider à trouver un nouvel élan.

« Mais lorsque le corps enseignant comprend pourquoi l’EDD est importante,
beaucoup passent du scepticisme à un intérêt prudent, puis à l'engagement. »

Quelles sont les offres de soutien à disposition pour ancrer l’EDD à l’école ?

Les directions d’école et les enseignant.e.s ne sont pas seul.e.s dans leur coin s’ils et elles souhaitent faire avancer l’EDD. Le Réseau d’écoles21 en particulier (voir l’infobox) peut aider les enseignant.e.s et les directions d’établissement à aménager des écoles durables. De nombreux outils sont disponibles, allant des aides pratiques pour l’enseignement aux réseaux et distinctions, en passant par des aides financières, des conseils personnalisés et des offres de formation continue.  Personnellement, j'encourage toujours les écoles à explorer d'abord les possibilités qui s'offrent à elles dans leur propre environnement – souvent, le canton ou les ONG locales ont déjà beaucoup à offrir. Au niveau national, éducation21 est le meilleur point de départ en Suisse ; on y trouve en effet tout ce qui est pertinent. Avec toutes ces ressources, il est beaucoup plus facile d'intégrer l'EDD dans la pratique quotidienne – il n'est pas nécessaire de réinventer la roue, mais on peut s'appuyer sur les connaissances et le soutien existants.

Vous travaillez actuellement sur un projet de coopération avec une université suédoise, qui porte sur le leadership durable et l’EDD. De quoi s’agit-il exactement ? 

Dans le cadre du projet de coopération « Leadership durable : aménager des écoles durables avec des personnes dirigeantes » mené en collaboration avec l’université Linné en Suède et éducation21, nous nous focalisons sur la formation continue ciblée des directions d’établissement et les contacts entre elles. Ce projet réunit des spécialistes des domaines direction (leadership) et EDD, ainsi que des directions d’établissement en Suisse et en Suède, qui réalisent ensemble des évaluations par les pairs sur le leadership dans des écoles des deux pays et discutent des conditions nécessaires pour concevoir et diriger des écoles durables. L’objectif est d’élaborer une boîte à outils (toolbox) en ligne qui puisse être utilisée par les directions d’établissement et le personnel enseignant lors de l’aménagement d’écoles durables dans les trois régions linguistiques. Les offres proposées pourront ensuite être utilisées via éducation21 ou la HEP Zurich. 

« L’objectif est d’élaborer une boîte à outils (toolbox) en ligne qui puisse être utilisée
par les directions d’établissement et le personnel enseignant
lors de l’aménagement d’écoles durables dans les trois régions linguistiques. »

Quels premiers enseignements avez-vous tirés de cet échange dans le cadre de l'évaluation par les pairs ? 

Un constat important, c’est l’importance du regard extérieur. Il est normal qu'une école développe une certaine cécité organisationnelle, car on considère beaucoup de choses comme acquises. Grâce à l'évaluation par les pairs, les directions scolaires ont reçu des retours qu'elles n'auraient peut-être jamais obtenus seules. Par exemple, les pairs ont remarqué dans une école qu'il existait certes un excellent modèle de développement durable, mais que certains enseignant.e.s ne le suivaient pas encore dans leur travail quotidien – une remarque que la direction a pu reprendre pour mettre en place davantage de formations internes. À l'inverse, dans une autre école, les pairs ont expressément salué la culture scolaire fortement participative qui y régnait, faisant ainsi prendre conscience à la direction qu'il s'agissait là d'un atout majeur sur lequel s'appuyer. La réflexion systématique et le retour d'information ont généralement permis à tous les participants d'acquérir une sorte de gain de compétence : ils et elles prennent davantage conscience de leurs bonnes pratiques et identifient plus clairement leurs propres axes de développement. En fin de compte, nous avons appris que la transparence et la réflexion sur son propre travail, à la lumière des commentaires des collègues, sont extrêmement précieuses pour faire avancer l'EDD.

Pour conclure : quelle est l’influence d’une école gérée de manière durable sur la mise en œuvre de l’Éducation en vue d’un Développement Durable (EDD) ? 

Lorsque la direction de l'école fait de la durabilité une priorité, l'EDD n'est plus seulement un projet isolé mené par quelques enseignant.e.s engagé.e.s, mais fait partie intégrante de l'ADN de l'école. Des études montrent que les directions scolaires qui promeuvent activement la durabilité intègrent l'EDD dans le fonctionnement quotidien de l'école. Par exemple, en développant une vision commune de l'EDD et en organisant des processus participatifs. EIles soutiennent les enseignant.e.s dans la pratique de l'EDD et encouragent la participation active des élèves, ce qui permet une mise en œuvre cohérente et à grande échelle de l'EDD. L'EDD cesse alors d'être un « extra » et devient une évidence, visible dans les projets scolaires et les processus décisionnels.